“La
suivante”
(1633)
Comédie en
cinq actes et en vers
Théante,
l'ami d'Amarante. une suivante, aspire à l'amour de la maîtresse de celle-ci,
Daphnis. Aussi, à la fois pour se débarrasser de la donzelle et pour occuper un
éventuel rival, tente-t-il de rapprocher Florame et Amarante. Mais, si Florame
assiège fort galamment la suivante, il n'en perd pas pour autant de vue Daphnis
qui, depuis qu'il fréquente Amarante, lui est devenue plus accessible. Les
joutes amoureuses qui se succèdent entre Amarante et ses deux feints
courtisans, Florame et Théante, se compliquent encore de la passion sénile
qu'éprouve Géraste, père de Daphnis, pour la sœur de Florame. Cette passion
devient l'objet d'un marchandage, qui n'intervient pas peu dans la victoire de
Florame, encore que Daphnis n'ait jamais aimé que lui. Tout s'arrange le mieux
du monde, sauf pour la malheureuse suivante, abandonnée de tous ses galants, et
qui soupire dans le monologue qui conclut la pièce :
«Mon cœur n'a point d'espoir
dont je ne sois séduite.
Si je prends quelque peine,
un autre en a les fruits ;
Et, dans le triste état où le
ciel m'a réduite,
Je ne sens que douleurs, et
ne prévois qu'ennuis.»
Commentaire
Corneille,
qui avait innové dans ‘’La galerie du palais’’ en remplaçant le traditionnel
personnage de la nourrice par celui, nouveau au théâtre, de la suivante, alla
jusqu'au bout de son innovation en faisant de la suivante le principal
personnage de sa nouvelle pièce. Pour bien comprendre l'enjeu de la comédie, il
faut savoir qu'une suivante n'est pas une servante : si elle peut entretenir
des galanteries avec les héros de la pièce, c'est qu'elle est aussi bien née
qu'eux, et en outre belle et intelligente ; seulement elle est pauvre, ce qui
explique qu'elle soit au service de Daphnis et qu'elle ne soit qu'un jouet,
malgré ses propres manœuvres, entre les mains des galants qui ne s'intéressent
qu'à sa maîtresse. Par là, cette comédie cruelle démonte sans complaisance les
mécanismes de la riche société du XVIIe siècle, dont les seuls moteurs semblent
avoir été l'ambition et l'amour-propre, eux-mêmes déterminés par l'argent. Nous
sommes loin du paradis pastoral urbanisé sur lequel s'ouvrait la série des
comédies et auquel renvoyait encore la comédie précédente : la pièce se termine
certes par l'annonce de deux mariages, mais l'un des deux est celui d'un vieillard
avec une jeune fille, résultat d'un marchandage qui permet d'unir le couple
central, Florame et Daphnis, mais qui, comme le prophétise la malheureuse
Amarante à la fin, rendra certainement malheureux et le vieillard et la jeune
fille. En même temps, Corneille s'est abstenu d'unir Théante et Amarante, comme
on aurait pu l'attendre non seulement d'une pastorale, mais de n'importe quelle
comédie : Théante, quoique Amarante ne lui déplaise pas, préfère s'exiler
plutôt que de se retrouver dans une situation sociale moins éclatante que celle
de son ami Florame ; s'il épouse quelqu'un désormais, ce ne peut être que pour
accéder à un rang qui le placera au-dessus de Florame. Avec cette comédie
amère, où, pour la première fois, il se conformait rigoureusement à la règle de
l'unité de temps, Corneille poussa le réalisme social à un degré qui ne fut
plus jamais atteint par les dramaturges de sa génération.
La pièce
fut jouée durant la saison théâtrale 1633-1634, étant la quatrième de la série
des comédies galantes qui ont ouvert la carrière de Corneille.
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