"Le temps est un
grand maître, il règle bien des choses"
Pierre Corneille est né
le 6 juin 1606, à Rouen. Il est issu d'une famille de petite bourgeoisie, dont
le père avait la charge de maître des eaux et forêts (La Fontaine obtiendra la
même charge plus tard). Il est l'aîné de six frères et sœurs, l'un de ses neveux
sera Fontenelle, homme de science et de lettres, qui laissera outre son
"Discours sur la pluralité des mondes", un témoignage sur son célèbre
oncle. Un de ses frères, Thomas, sera à son tour, un auteur dramatique.
Corneille fait des
études brillantes dans un collège de Jésuites à Rouen, et reçoit le Premier
Prix de vers latins de la classe de Rhétorique à 13 ans. Il se passionne pour les stoïciens latins, et
pour leur éloquence logique et raisonneuse, ce qui marquera profondément la construction de ses tirades. Comme tous
les aînés, il est amené à poursuivre des études de droit, et devient avocat en
1624. Mais Corneille a un handicap : grand timide, l'aisance verbale des grands
maîtres du barreau lui manque cruellement. Il préfère écrire.
A cette époque, il tombe
amoureux d'une demoiselle : Catherine Hue, qui malheureusement préfère se
marier à Thomas du Pont, conseiller-maître à la Cour des Comptes de Normandie,
dont la situation sociale est plus prometteuse. Il en restera meurtri toute sa
vie. De ses déconvenues de jeune homme, il écrit une pièce, "Mélite",
qu'il propose à la future troupe du Marais, de passage à Rouen, menée par
l'acteur Montdory. Cette comédie rencontre un vif succès, et Corneille décide
d'abandonner le droit pour le théâtre dès 1629.
A partir de 1631,
Corneille s'essaye à tous les genres théâtraux : il fait jouer la tragi-comédie
de "Clitandre" et "La Veuve", puis "La Suivante"
et "Place Royale", en 1634. Cela
le conduit à être présenté au Cardinal de Richelieu en personne. Ce dernier se
pique d'écrire des pièces de théâtre et propose à Corneille de rejoindre
Boisrobert, Colletet, l'Estoile et Rotrou afin de former la Société des Cinq
Auteurs, chargée de composer des pièces d'après les canevas du Cardinal.
Corneille accepte de participer à la Société entre deux de ses propres pièces.
Le Cardinal fait anoblir le père de Corneille et verse à l'auteur 1500 livres
de rentes, jusqu'en 1643. Mais le dramaturge commence à avoir de l'assurance et
il se permet de modifier quelques idées du Cardinal, ce qui lui vaut un
refroidissement de la part du pouvoir.
Corneille écrit sa
première tragédie, "Médée", en 1635, et c'est en 1636, qu'il fait
l'apologie du théâtre dans une pièce hybride
"L'Illusion comique". Dans cette œuvre Corneille propose une
allégorie de la vie par le jeu, par la mise en abyme du théâtre dans le
théâtre, thème profondément baroque, traité de façon parfois féerique. Il
alterne les passages de franche comédie, avec notamment le personnage de
Matamore, et des scènes inspirées de la tragédie.
La même année, un ami,
Monsieur de Chalon, conseille à Corneille de lire Guilhem de Castro. Dans sa
comédie, "Las Mocedades del Cid" (Enfances du Cid) de 1618, il y
trouve un personnage atypique : Rodrigue nommé le Cid (de l'arabe Sidi,
seigneur) Campeador (batailleur) par le roi de Castille après sa victoire
écrasante sur les Maures. Il épouse la fille d'un homme qu'il a tué. Ce
personnage est inspiré d'une chanson de gestes du Moyen Age qui retrace les
exploits de Rodrigo Díaz de Bivar, chevalier mercenaire chrétien, grande figure
de la Reconquista au XIème siècle, mais figure ambiguë car il a porté aussi les
armes aux côtés des musulmans. Rodrigo avait tué un homme et dans le code du
Moyen Age, le coupable devait soit subir le châtiment de la loi soit épouser la
fille du défunt. Ce mariage n'avait rien de choquant à l'époque ce qui n'était
pas le cas au XVIIème siècle. De fait le Cid épousa Jimena (Chimène) Díaz.
Corneille détient les noms des principaux protagonistes et y rajoute une
intrigue romanesque pour produire sa plus célèbre pièce : "le Cid".
Le rôle du Cid est
attribué à l'un des grands acteurs de l'époque : Montdory. La pièce est jouée
en janvier 1637, le succès est immédiat.
Louis XIII décide d'anoblir le père de l'auteur. Corneille connaît une gloire
éclatante à 30 ans.
Mais les détracteurs se
manifestent aussitôt : Georges Scudéry trouve le sujet mauvais et
invraisemblable (un homme épouse la fille dont il a tué le père !). On chuchote
que le Cardinal, rancunier, aurait sa part dans les attaques contre la pièce.
On accuse Corneille de plagiat, alors que les auteurs de l'époque, Molière ou
La Fontaine empruntaient eux aussi leurs sujets à des sources diverses, de
l'Antiquité notamment. Seul Guez de Balzac prend la défense de l'auteur. Il
écrit à Scudéry : "Corneille a un secret qui a mieux réussi que l'art
lui-même".
Puis c'est en 1638,
"Les Sentiments de l'Académie" sont publiés. Chapelain et ses
confrères jugent que la pièce n'est pas conforme aux règles (la règle des 3
unités : lieu, temps, action) ni aux bienséances (Chimène ne peut épouser
Rodrigue). Corneille n'écrira plus pendant 2 ans. Il épouse Mademoiselle de
Lampérière et mène une vie tranquille, à Rouen sa ville natale, loin de
l'agitation de la cour.
La fibre théâtrale
reprend cependant Corneille. Il s'inspire de l'histoire romaine, de la Vie des
Saints du Xème siècle pour écrire "Horace" en 1640,
"Cinna", 1642, "Polyeucte", 1643, "La mort de
Pompée". Il revient à la comédie avec "Le Menteur" en 1644, puis
"La Suite du Menteur", s'oriente vers le mélodrame avec
"Rodogune" en 1645.
Mazarin subventionne le
dramaturge qui à cette époque, vend ses œuvres aux libraires (pratique
inexistante jusque là) et est accusé par ses ennemis de se comporter comme un
vulgaire commerçant. Les critiques sont aussi alimentées par la tentation de la
vanité chez cet auteur ambigu qui n'hésite pas à écrire en tête de ses ouvrages
: "Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée". ou à prendre pour devise : "Je sais ce
que je vaux et crois ce qu'on m'en dit", qui sera reprise par
Chateaubriand.
L'irrésistible ascension
de Corneille est arrêtée lorsque en 1646, la pièce à sujet sacré,
"Théodore" connaît un cuisant échec. L'auteur est néanmoins élu à
l'Académie en 1647.
Corneille se tourne
alors vers un genre qui lui a plutôt réussi, la pièce à Machine. En 1650, deux
ans après la Fronde, qui a retardé les premières représentations, est jouée
"Andromède". Puis c'est la comédie héroïque qui le tente, et il écrit
"Don Sanche d'Aragon", pièce très romanesque qui le fait renouer avec
le succès.
C'est
"Nicomède", 1651, qui remet sur le devant de la scène la figure du
héros stoïcien. La pièce, pourtant un peu austère, reçoit un bon accueil, mais
elle semble déplaire au Pouvoir, Mazarin croyant y voir un éloge de Condé.
Corneille se voit retirer sa charge et sa pension. En 1652, c'est un nouvel
échec qui attend Corneille : "Perthrarite". Jusqu'à 1658, Corneille
se tait, médite et traduit en vers des ouvrages religieux, dont "Une
imitation de Jésus- Christ".
Il retrouve un appui en
1658 en la personne de Fouquet, le surintendant des finances de Louis XIV. Il
donne "Œdipe" en 1659. En 1660, comme un bilan de sa carrière, il
publie ses œuvres complètes, ainsi que 3 discours théoriques sur son art :
"I- De l'utilité et des parties du poème dramatique ; II- De la tragédie ;
III- Des trois unités".
Après un retour à la
pièce à machine avec "La Toison d'Or", en 1661, il retrouve l'histoire romaine, avec
"Sertorius" (1662), "Sophonisbe" (1663), "Othon"
(1664). Après l'arrestation de Fouquet, il est à nouveau subventionné par Louis
XIV.
En 1666 c'est l'échec
d'"Agésilas", et Corneille se fourvoie ensuite dans le traitement de
ses héros, "Attila", en 1667, met en scène un monstre tendre, et dans
"Tite et Bérénice" en 1670, il donne un rôle d'amoureux à un
personnage qui est considéré comme un tyran cruel dans l'Histoire.
Corneille se sent vieux,
affaibli tant par la maladie que par l'émergence d'un rival, insolemment jeune
et brillant : Racine. C'est d'ailleurs la "Bérénice" de ce dernier
qui l'emporta aux yeux du public sur "Tite et Bérénice".
Comme pour se distraire,
Corneille cède au charme du lyrisme amoureux et rafraîchissant dans
"Psyché", qu'il écrit en grande partie avec Molière en 1671. Puis
c'est "Pulchérie" en 1672 et surtout "Suréna", en 1674, qui
mêle la tendresse et l'héroïsme retrouvé.
Conscient que les temps
ont changé, les modes ont passé, qu'il n'est plus le Grand Corneille de jadis,
le dramaturge prend sa retraite définitive à 69 ans.
Louis XIV fait quand
même jouer à Versailles "Cinna", "Horace",
"Pompée", "Œdipe", "Sertorius" et "Rodogune"
en 1676, mais les valeurs prônées par ses pièces semblent démodées.
Le 1er octobre 1684
Corneille meurt, dans des conditions matérielles très modestes.
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