La princesse Eurydice,
fille du roi d'Arménie, doit épouser demain le prince Pacorus, fils du roi
d'Orode, roi des Parthes. Ce mariage est le fruit d'un traité mettant fin à la
guerre avec les Romains -qui ont pour une fois subi une défaite- et scelle
l'amitié des deux rois. La princesse Eurydice se prépare sans joie à ce mariage
car elle aime secrètement Suréna, un lieutenant du roi Orode, qu'elle a connu
lors d'une ambassade avant la guerre et le traité. Cet amour est réciproque
bien qu'interdit car Suréna n'est pas de sang royal.
Le prince Pacorus aime
Eurydice et veut en être aimé. Il le dit à Suréna, qui est son ami et son
confident. Il craint qu'Eurydice ne réponde pas à son amour. Pacorus était autrefois
fiancé à Palmis, soeur de Suréna. Palmis l'aime toujours. Elle est devenue
l'amie d'Eurydice et connaît son secret. Le roi d'Orode enfin est jaloux de la
gloire de Suréna -il a gagné la guerre contre les Romains- qui lui a permis de
retrouver le pouvoir. Suréna (qui n'est pas de sang royal) est plus valeureux
que son roi. Le roi en souffre et craint de devoir tuer Suréna s'il ne consent
à épouser sa fille. Ce mariage -pense-t-il- le lierait fortement à sa dynastie
et diminuerait les possibilités de rébellion. Mais Eurydice est jalouse et
interdit à Suréna d'épouser la fille du roi. Suréna obéit à Eurydice. Il
choisit d'obéir à son amour plutôt qu'à l'ordre royal.
Il fait d'une femme son
maître secret et se condamne à mort. La machine tragique est lancée. Brigitte
Jaques-Wajeman *Suréna (extrait) « Mon vrai crime est ma gloire, et non pas mon
amour : Je l'ai dit, avec elle il croîtra chaque jour Plus je les servirai, plus je serai
coupable Et s'ils veulent ma mort, elle
est inévitable. Chaque instant que l'hymen pourrait la reculer Ne les
attacherait qu'à mieux dissimuler Qu'à
rendre, sous l'appas d'une amitié tranquille, L'attentat plus secret, plus noir
et plus facile. Ainsi dans ce grand noeud chercher ma sûreté, C'est inutilement
faire une lâcheté, Souiller en vain mon nom, et vouloir qu'on m'impute D'avoir
enseveli ma gloire sous ma chute.
» Suréna ou le deuil du bonheur* Le bonheur
est une idée neuve dans l'oeuvre de Corneille, une idée révolutionnaire pour
les temps futurs, pour le siècle à venir. Un programme pour le siècle à venir.
Et voilà qu'il l'avance comme le prix sans prix de la vie, la cause dernière de
toute vie, pour la première et dernière fois dans Suréna, sa dernière pièce.
Sommé de songer à la postérité, Suréna s'écrie et cela a valeur de manifeste
dans ce monde : Et le moindre moment d'un bonheur souhaité Vaut mieux qu'une si
froide et vaine éternité Mais Suréna est une tragédie, car si Corneille plaide
pour la cause du bonheur, c'est pour mieux faire apercevoir que rien dans les
habitudes subjectives de son temps, rien dans l'ordre politique ne prépare au
bonheur.
Tout prépare au contraire au sacrifice, sacrifice de soi pour le bien
général, sacrifice du bien général pour le pouvoir, sacrifice de tout désir
naturel à la gloire, à « la vaine éternité ». Il y a parmi les sujets de son
siècle, de sa fin de siècle, une grande accoutumance à la douleur, une immense
habitude de la tragédie. Je veux qu'un noir chagrin à pas lents me consume
Qu'il me fasse à longs traits goûter son amertume, Je veux, sans que la mort
ose me secourir, Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. Dans
Suréna, personne ne sait comment obtenir sa part de bonheur, alors que tous le
désirent ardemment, en revanche tous connaissent parfaitement les rouages
tragiques du sacrifice. Aussi vont-ils sacrifier le bonheur au bonheur,
vont-ils construire un tombeau pour le bonheur. Pour préserver le droit au
bonheur, ils vont sacrifier la vie et la liberté et grâce à eux, pour la
première et dernière fois dans l'oeuvre de Corneille, le bonheur deviendra la
cause ultime, impossible, de l'héroïsme. Brigitte Jaques-Wajeman Représentée en
fin d'année 1674 Suréna est un échec (qui suit celui de la comédie héroïque
Pulchérie en 1672).
Alors Corneille met fin à son activité d'auteur dramatique
et se consacre à l'édition complète de son théâtre (1682). Il vit pauvrement
quand ses pièces les plus célèbres sont régulièrement jouées à Versailles, devant
Louis XIV. En 1683 il vend sa maison de Rouen. Boileau, qui fut un de ses
illustres critiques, demande au Roi de lui verser sa propre pension. Louis XIV
fait alors remettre à Corneille, par l'intermédiaire de La Chapelle, parent de
Boileau, la somme de 200 Louis. Pierre Corneille meurt, dans la nuit du 30
septembre au 1er octobre 1684, dans sa maison rue d'Argenteuil à Paris. Avec: :
Bertrand Suarez-Pazos (Suréna), Marie-Armelle Deguy (Eurydice), Laurent
Charpentier (Pacorus), Jean-Baptiste Malartre (Orode), Anne Consigny
(Palmys),François Regnault (Sillace), Léila Férault